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Association Afrique Bénin Cancale Dol
4 novembre 2020

Méandres du projet artemisia

 

                                               Les méandres de la mise en place du projet « artemisia ».

 

      Un bruit strident, en ce 15 février 2019, retentit et me fait sursauter. Ah ! Ces moyens de communication modernes qui vous interrompent sans aucun égard pour ce que vous faites. Je grommelle tout en décrochant et en souhaitant que pour une fois la communication soit audible.

-          « Ah ! Annie quelle surprise. Comment vas-tu ?

-          Bonjour Evelyne, je t’appelle car je mets en place les interventions du premier trimestre pour les premières SMS (Sciences Médico-Sociales). Quelqu’un me propose une intervention sur l’artemisia et j’ai pensé à toi.

-          A moi ?

-          Oui, tu vas bien régulièrement au Bénin ?

-          Tout à fait, mais c’est quoi l’artemisia ?

-          Une plante qui participerait largement à la lutte contre le paludisme.

-          Géniale ! C’est la première cause de mortalité dans le monde.   

-          Veux-tu que je demande au prof et à l’intervenante si tu peux te joindre à l’auditoire ?

-          Super idée. En Afrique, la malaria est la première cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans. Le lieu de la formation : Bascan ? Peux-tu me donner l’heure et la date ?

-          Je cale le tout et je te tiens au courant.

-          OK, no problème. Merci de me le dire au plus vite que je ne prenne pas d’autres engagements. D’ici là, je vais m’informer sur cette plante (article paru sur le blog le 14 avril 2019 ;  l’artemisia, la plante de l’espoir.)

           -                         

          amphithéâtre du lycée Bascan.

        Deux mois plus tard, j’assiste à l’intervention de madame Lucie Cornet-Vernet ; (article du 14 avril 2019).

Après quelques renseignements supplémentaires, convaincue du bien fondé de ce végétal, je contacte par mail et par WhatsApp le père Servais au Bénin pour lui demander son avis. Pas de retour ; peu surprenant vu l’aspect aléatoire des communications et la surcharge de travail de mon correspondant. Je tente de jeter quelques bouteilles à la mer. Pas de réponse. Je songe au bouche à oreille et aux signaux de fumé. Finalement, de fil en aiguille, je découvre Monsieur Yargo qui est le président de la maison de l’artemisia au Bénin. Je le contacte, il m’informe que les sœurs du monastère de Notre Dame de l’écoute, au Nord de l’Atakora, ont bénéficié d’une formation et cultivent  l’artemisia africa. En approfondissant mes recherches, j’apprends qu’une formation payante aura lieu à Natitingou. J’informe à nouveau, le Père Servais qui me répond qu’il connait Monsieur Yargo. Il ne me parle pas de la formation et de son positionnement par rapport à l’artemisia.

N’ayant plus de nouvelles, je me dis que je verrai tout cela sur place l’été 2019.

   

Le personnel du centre : cuisinière, maître d’internat régulateur et générateur de conflits, la couturière, la dame s’occupant des enfants.

           Juillet étant là, je rejoins, après quelques péripéties qui rompent la longueur du voyage, Pampam. Là, je découvre la nouvelle organisation du personnel qui me semble toujours déroutante et m’interroge sur le moment où je maîtriserai les codes qui régissent les salariés sur une terre qui a une période s’appelait République Populaire du Bénin 1977/1990 et adhéra au Marxisme Léninisme.  Comment ce gouvernement put- il gouverner au nom d’une classe ouvrière aussi peu scolarisée dans un pays sans usine, sans discipline, sans formation ?    L'ancien président  Zinsou (il habite aujourd’hui dans le Perche)  parle du  Bénin durant ces dix-sept années comme d’un « pays sans industrie mais gouverné au nom de la classe ouvrière » et le compare à « la Roumanie sans exportations, la Bohême sans usines, la Pologne sans charbon, et la Prusse sans discipline   ».

Hyppolite effectuant les courses.

Deux jours après mon arrivée, je vois vers 13h, Hyppolite, le maître d’internat, pousser sa moto. Il semble pour une fois, très pressé. Il me précise qu’il a oublié sa formation donc il s’affole pour au moins bénéficier de celle de l’après midi. Il lui faut se rendre à Nattitingou. Heureusement, la piste est praticable.

Je pense que c’est tout ce qui lui reste à faire. Cependant, comment a-t-il pu oublier une formation alors qu’elles sont si rares et jamais gratuites ? Quel est le sujet de cette formation, sa durée… ? Je revoie mes anciens élèves «  Français Langue Etrangère » et leurs difficultés de ponctualité et d’assiduité. Enfin de journée, j’entends une moto. L’étourdi arrive sur son destroyer poussiéreux. Les enfants couchés, il m’explique en se rengorgeant qu’il suit une formation sur l’artemisia, plante dont bien sûr, j’ignore l’existence. Il me fournit des détails parfois un peu déroutants. On lui a notamment révélé que les congelés sont néfastes pour la santé (Servais et moi-même avons du « pain sur la planche »). Il m’assure qu’ils sont toxiques, que les européens en mangent beaucoup trop, qu’ils font grossir, qu’ils sont trop salés, trop sucrés. Il ne me parle pas du risque de rupture de la chaîne du froid ! Je finis par me convaincre que la formation sur l’artemisia  porte également sur d’autres domaines. Le formateur s’est-il interrogé sur les capacités de compréhension de ses apprenants ?  Sa formation est-elle adaptée au mode de vie du pays, aux besoins de la population ? Qui dans ce pays consomme des plats tout préparés ? Ne serait-il pas plus judicieux de  centrer le  travail sur l’artemisia ?  Qu’a retenu ce nouveau formé de l’intérêt de cette plante ?

 

Le lendemain, convaincu de l’intérêt de l’artemisia, il m’explique qu’il serait bien de se lancer dans sa culture, qu’il faudrait en parler au Père (si je pouvais suggérer…)  mais un plant vaut huit euros. C‘est là un tarif prohibitif ! Je songe à refaire le point avec Servais lorsqu’il passera et pense me lancer dans l’expérience d’un pied.

Eux, aussi, s'interrogent sur notre capacité à réaliser  cette plantation.

Le surlendemain, Hyppolite construit une petite butte de terre et plante notre premier pied car la formation se terminait par l’attribution d’un pied par participant. Découverte !

En rentrant de classe, je vais voir la fameuse plante et reste des plus dubitative. La plante est au sommet d’une petite butte, des gallinacés tournent autour et ne vont pas tarder à satisfaire leur curiosité. Des crottes de moutons sont réparties en nombre conséquent au pied de la plante, il s’agirait de fumure !!!!

 Tentative de plantation d’artemisia

  

Le lendemain, un peu inquiète, je rends visite à ma protégée. Visiblement, elle ne s’adapte pas. Malgré toute l’eau qu’il y a, Hyppolite est persuadé qu’elle manque d’eau, la preuve les feuilles jaunissent et puis il faut l’abriter du soleil. Je tente d’expliquer que le compost est constitué de décomposition et qu’il faut du temps pour effectuer cette dernière. Me heurtant à un mur, j’appuie mes explications sur l’étymologie du terme compost. Hyppolite est très fier de son savoir. Il estime perdre son temps dans ce minuscule orphelinat et se demande s’il  ne devrait pas partir au Niger où les enseignants sont nettement mieux payés qu’au Bénin. Au Niger, il est bien entendu que la vie est moins chère... L’éternel attrait du pré du voisin où l’herbe est toujours plus verte ! Boucles d’Or et ses jonquilles me traversent l’esprit.

J’abandonne mes explications. A quoi bon ! Il sait. Il a eu la formation. Je ne suis qu’une femme blanche de surplus… et même s’il est bien obligé de reconnaître que les mêmes plants ont pris dans le jardin de l’évêché, il est évident que c’est une histoire de climat, de terrain…

Deux jours plus tard, la plante s’est volatilisée. Il ne reste qu’un minuscule moignon de tige.

 Femme Bariba et son enfant.

           Durant mon séjour, le père Servais me propose une  visite de deux jours au pays Bariba pour assister à la fin du camp des séminaristes de l’Atakora. J’accepte avec empressement. Je ne connais pas cette région, ce sera l’occasion peut-être de revoir des visages connus et aussi un moment de détente.

Le dernier soir se déroule une veillée : messe, chant, musique, danse, théâtre où tous les rôles sont tenus par les participants du camp. Dans la touffeur de la nuit, les villageois profitent de ce divertissement. C’est si rare. L’ambiance bruyante est bon enfant. La musique écrase de son rythme tous les bruits. Une place assise m’a été proposée de grand cœur. Je suis âgée et surtout l’invitée du père Servais. Hier, la laïque que je suis, s’est trouvée à partager le repas de l’évêque totalement livrée à elle-même.  Le troisième convive de la table d’honneur avait été happé, une fois encore, par ses multiples fonctions. Là, dans cette petite foule bigarrée, inutile de se creuser la tête pour maintenir un semblant de conversation. Le rôle que je dois endosser est beaucoup plus reposant. Je me fonds dans les rires « bon enfant », emportée par la bonne humeur des uns et des autres. Parfois un enfant, un adolescent, le directeur de l’école m’expliquent les subtilités du spectacle. C’est l’heure du pagne sur les épaules pour lutter contre les moustiques et l’air qui commence à fraîchir. « Il fait frigo ». Ma fatigue, bercée par le rythme des voix pures et profondes, m’entraîne vers une certaine léthargie. C’est alors que la grande silhouette du père Servais traverse une des nombreuses zones d’ombre. Il profite d’un moment d’accalmie pour me demander «  Evelyne, veux-tu parler de l’artemisia ? »

Visiblement, malgré le silence de mon interlocuteur durant l’hiver et l’échec de notre jardinier en herbe, le message est passé. Non seulement il y a eu la formation mais le volet publicitaire est lancé.

Trop heureuse, je réponds : « avec plaisir ».

Mon interlocuteur connaissant ma tendance à la timidité reprend : « Tu es sûre que tu veux intervenir

 A mes yeux, l’occasion est trop belle : Oui, oui mais combien de temps m’accordes-tu ?

Quinze à vingt minutes. Cela te va ?

Oui »

Servais en moulinant des bras, attire l’attention de l’animateur de la soirée et lui indique que je vais prendre la parole. Je me souffle : faire simple, simple. Chercher l’efficacité. Convaincre. Ne pas oublier d’utiliser la voix qui porte. Faire éteindre le micro qui grésille.

L’animateur annonce mon intervention. Je m’avance. Il me tend le micro et m’indique que j’ai tout au plus dix minutes. Il insiste sur les dix minutes. Il m’agace et j’ai fortement envie de lui rétorquer que contrairement à la majorité de ses congénères, je suis réputée pour aller droit au but, ne pas user de phrases ampoulées  et avec moi, on est prié de respecter les délais impartis.

Ah ! Convaincre en dix minutes. Top chrono, c’est parti.

Trois minutes plus tard, intervention de Servais dans une langue qui m’est inconnue mais que visiblement il ne maîtrise pas. Puis trente secondes après, je réalise que plus de la moitié de mon auditoire ne parle pas un soupçon de français. Le temps est trop court pour apprendre la langue du coin. L’homme de toutes les situations arrive. Ce jeune homme alerte et souriant va servir de traducteur.

OK. Il me reste en tout et pour tout cinq minutes. Je reprends : court, concis, vocabulaire basique… Ce merveilleux traducteur maîtrise-t-il réellement le français ou a-t-il les rudiments de français équivalent aux rudiments de Bariba de Servais ? Deux minutes plus tard, j’ai ma réponse. Mon traducteur patauge. Il me demande de reprendre. Comment me sortir de là ? Il reste en tout et pour tout, deux minutes. Une idée, une idée ? Je la tiens, les discours les meilleurs étant les plus courts :

J’effectue un large mouvement des bras vers l’avant pour accompagner un sonore et souriant «  Merci pour votre attention et bonne soirée à tous ».

 

  

   

Population Bariba.

Tonnerre d’applaudissements ! Droite comme un « i », je passe devant Servais en me jurant qu’il ne m’y reprendra pas de si tôt. C’est quoi cette organisation à l’africaine ? Ne pouvait-il pas anticiper ?

 

Chargement des camions à la fin du camp.  

Sur le chemin du retour, Servais me glisse « Si tu es d’accord nous travaillerons plus tard sur le projet de l’artemisia ». Franchement, je me demande pourquoi ???

Disons ce que nous avons à dire mais restons calme, calme… Une secousse me traverse. Je garde mon sérieux. Il pleut tant et plus que Servais absorbé par la conduite ne peut deviner mon envie de rire.

Un peu plus tard, je lui signale que moi aussi je dois être persuasive car trois jeunes séminaristes et un enseignant sont venus me trouver pour m’expliquer qu’ils souhaitaient se procurer la plante de l’espoir.

    Artemisia,  le début de notre culture.

            Aujourd’hui 25 août 2020, au petit matin en ouvrant WhatsApp, les yeux encore ensommeillés, j’ai découvert notre premier plant d’artemisia. Si nécessaire, d’autres suivront. Bientôt les villageois des alentours auront la possibilité d’utiliser cette herbe médicinale si contestée par nos laboratoires pharmaceutiques.

            On dit en Afrique qu’ « il  faut, pour tout, une patience à cuire les cailloux ». J’irai au-delà en ajoutant ne crions pas victoire trop tôt. Voyons ce que la cuisinière envisage de nous mijoter. J’aurai peut être le plaisir de le découvrir dans quelques mois.    

Evelyne, présidente de l’association ABCD.

Le premier pied d'artémisia nous a coûté 8 euros. 

Vous êtes convaincus de notre utilité alors n'hésiter pas à nous aider, il y a tant à faire!

Adhésion, don... 

 

 

 

 

 

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