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Association Afrique Bénin Cancale Dol
4 décembre 2020

Patience ( partie une)

                                                               Patience

 

                Que de bruit ! Que de bruit !

                Et cette odeur ! Et cette fumée ! Et ce soleil ! J’ai soif ! J’ai chaud !

                Ah, Enfin ! La cacophonie diminue d’intensité. Elle se transforme en un ronronnement discordant. Où est ma maman ?

                                        Je me sens transporté de-ci de-là avec des arrêts fréquents. On me montre à droite, à gauche. Qu’ai-je donc de si extraordinaire ? Des voix m’entourent. Un mouvement sur le côté, je tangue dans le creux d’une large main à la peau rêche et rosâtre.

 rue de Cotonou.

                De nouveau la fumée me pique la truffe. Un bruit infernal attaque mes tympans. Cette alternance de calme et d’agitation  se poursuit depuis le petit matin à un rythme endiablé.

                Hier soir, la nuit à peine tombée, un des  garçons du village est venu m’arracher à ma famille. Il m’a jeté dans un sac qu’il a passé par-dessus son épaule. Puis il a marché longtemps, longtemps. Balloté au fond de ma prison de toile le temps m’a semblé une éternité. Je ne distinguais rien. J’ignorais si le jour s’était levé. Je frissonnais de peur, de froid, de faim. Malgré  sa maigreur,   la chaleur du flanc de ma mère  me manquait. Parfois l’homme devait butter sur une pierre alors un juron lui échappait et il redressait mon habitacle. A d’autre moment, il devait tomber dans une ornière ou sauter un marigot. A la peur s’ajoutaient les nausées.  Je  gémissais. L’homme hurlait  « tais- toi ! ». Alors, sur cette terre violente je me résignais et m’enroulais dans ma peur et mes douleurs comme beaucoup d’hommes de ce pays souhaitant devenir invisible, priant pour que l’adversité m’oublie.

                Au petit matin, mon kidnappeur m’a soulevé par la peau du cou. Durant quelques secondes, la lumière crue et intense m’a aveuglé. Il n’y a plus de lait maternel mais de l’eau, s’il vous plait donnez-moi de l’eau, un peu d’eau. Je suis si petit, quelques gouttes d’eau… s’il vous plait ! Des jambes, de la poussière, du vacarme, des roues, un sifflet déchire l’air de son sifflement strident, des humains, une foule d’humains mais personne pour me donner un peu d’eau.

Ici ce doit être la ville, la grande ville. Ma mère a eu si peu de temps pour m’expliquer la vie, le monde. Ici pas de champs seulement de drôles de maisons collées les unes aux autres  qui  s’élèvent dans la puanteur de l’air. L’ocre, la terre de sienne de la piste sont inexistants. La palette des tons m’est étrangère. Ils sont indéfinissables, agressifs, crus. Ici la voie est moins poussiéreuse que dans la savane. Elle ne se perd pas dans le lointain. Elle est large à m’en donner le vertige. Comment traverser ce vaste ruban sans risque?

     

La peur me saisit au ventre.

    « Vendeurs à la sauvette »                                                   

  «  C’est vert.1,2,3 partez ! »                          

L’homme m’a posé un bref moment à terre. Les coussinets de mes pâtes ont senti la chaleur de ce drôle de sol. Une infime partie de mes doux coussinets si tendres est restée collée dans le bitume. Je me lèche mais la salive me manque. Un poteau se dresse à côté de l’homme. Il est surmonté de trois gros yeux un couleur banane, un couleur orange et le dernier me rappelle le feuillage de l’amarante. A proximité du poteau, l’homme arpente la chaussée. Le temps s’écoule et j’observe le poteau. Lorsque l’œil rouge fonctionne la circulation s’arrête alors l’homme zigzague à travers la nuée des motos. Il bouscule des marchands de brosses, de dentifrice, de paquets de mouchoirs, d’oranges, de cacahuètes, un cul de jatte, un enfant atteint de polio, une mendiante, un dément à la chevelure tressée, couvert d’immondices, déambule en faisant des gestes, nu comme un serpent. Il y a là tout un petit peuple luttant chaque jour pour sa survie alors moi le chiot ? Ce n’est pas que ces gens soient méchants mais ils luttent pour eux. Ici la sensibilité n’est pas de mise. Ma mère m’a dit qu’il existe d’autres contrées, là-bas, au-delà de la grande mare bleue… Comme ces hommes, je n’ai pas choisi. Je suis africain. Là était mon destin.

Pendant que je philosophe, malgré mon peu d’instruction, l’homme aborde les chauffeurs de voitures. Il évite les taxis jaunes et privilégie les grosses limousines ou les 4X4 conduits par des chauffeurs particuliers. Il frappe à la fenêtre du conducteur qui suivant les directives de son employeur, baisse ou non sa vitre. Alors mon voleur m’élève dans le creux de sa main et dit «  Un tout jeune chiot. De la bonne viande. Un bon gardien. » Coincé entre la panique et la chaleur, je transpire. Je tire la langue. J’alète. Toujours pas d’eau…

Personne ne voudra de moi. Je suis si petit, plus petit qu’une noix de coco mais plus grand que le fruit de cajou. Je n’ai rien d’un chien de garde. J’ai le cœur tendre. Me manger ? Je suis… Je suis gros comme un rabouti. Certains hommes les mangent. Je l’ai vu au village.

 

" Mon sauveur!"

Un homme seul discute avec mon vendeur. Finalement, par la fenêtre, il passe des billets. Je suis vendu comme une vulgaire banane. Je ne dois pas valoir bien cher. Il va me manger. C’est stupide il est si grand ! Comment le lui dire ? Et à quoi bon. Il devait en être ainsi. Il me prend dans sa paume Elle est chaude et douce. Il m’approche de son visage et sourit. Ces yeux pétillent de malice. Est-ce bon signe ? Finalement il me dépose sur un siège mou. L’engin repart. Pourvu que mon histoire ne s’arrête pas là. Où allons-nous ?

« La piste. »

 

L’habitacle est fermé. Il fait frais L’homme chante. Il prie aussi. J’aime sa voix, son accent. J’entends de nouvelles langues : latin, français, italien, anglais… Il va falloir m’adapter. Je m’endors. Une goutte d’eau tombe sur ma truffe. L’homme, le géant me tend le creux de sa main. Waouh ! De l’eau ! Enfin de l’eau. La voiture repart cahin-caha ! Finalement, je me rendors.

Le moteur s’arrête. J’ouvre un œil puis l’autre. Je m’étire. Mon compagnon de voyage me soulève. Ses doigts sont longs et fins, très différents de ceux des villageois.

Des voix pointues et joyeuses bondissent par-dessus le haut portail. A peine franchi ce dernier, des visages d’enfants m’entourent. Une multitude d’yeux m’observe. Des rires, des exclamations fusent. Un bibendum noir entouré d’un tablier arrive d’un pas traînant. La femme s’exclame, s’émerveille, ses paroles sont une farandole de plaisir. Une femme blanche, aux cheveux étranges, nous rejoint. Je suis le centre de mire.

Il y a tant d’enfants qu’il serait ridicule de me cuire même si en moi tout est bon, ou alors, il leur faudra me nourrir longtemps, longtemps et pas certain que je m’engraisse vu le type d’alimentation répandu dans les villages. Ils auraient dû me laisser avec ma mère et m’amener plus tard. Je vais être si gentil, si serviable, si peu encombrant qu’ils vont finir par m’aimer. La voix ferme de l’homme dit : « La vieille, je t’ai amené un chien ».

« Denise. »

   

La matrone me prend. Elle me sert contre sa forte poitrine. Elle a l’air ravi, toute prête     à m’aimer. C’est là l’opportunité de mon existence. Je la lèche de ma langue lisse rosée. Je jappe. Elle rit.

 

L’homme reparti, ma maîtresse explique à la «  Blanche » : « Servais, donner chien ». Des caresses, un silence. Puis elle lâche «  chien bien voleur ».

    La blanche me soulève, me câline et dit en soupirant « Chat tuer souris ».Je  devine qu’elle aurait préféré un de ces sales sournois toujours prêts à griffer.

 

Suite : article suivant. 

 

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