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Association Afrique Bénin Cancale Dol

4 janvier 2021

Patience (suite)

  Patience (suite)

La première nuit, Denise, la cuisinière, ma patronne m’a enfermé dans la cuisine. J’ai senti qu’Evelyne n’était pas d’accord mais elle n’a rien dit. Par la suite, j’ai deviné qu’elle ne trouvait pas hygiénique de me voir traîner dans les casseroles. Elle pensait aussi que durant la nuit, j’allais manifester ma désapprobation. Elle avait raison.

La cuisine

        

Nettoyage 

               

Les casseroles

Cette cuisine la porte fermée, vidée de ses occupants, m’a rappelé le sac. Très vite, la température a baissé et comme j’étais alors chauve j’ai eu froid. Le sol était dur. Je ne me repérais pas. J’ai paniqué et j’ai pleuré. Quelqu’un a voulu ouvrir la porte. Le loquet était mis. La voix calme et tendre de Madame Evelyne m’a dit de me calmer, qu’il ne fallait pas pleurer, que demain tout irait bien mais demain me semblait si loin. A peine s’était-elle éloignée que j’ai gémi, couiné. Le coup tendu, j’ai hurlé de toutes mes forces. Plus autoritaire, la voix est revenue et m’a ordonné de dormir. Au bout de trois-quatre fois (je ne sais pas compter et Denise ne m’apprendra pas puisqu’elle aussi est   ignorante), une voix sévère et peu amène a percé l’obscurité. Perdu dans le noir, j’étais terrifié. Alors Evelyne est allée frapper à la porte de Denise. La « vieille »   a cru que l’étrangère était malade. Finalement, Evelyne a indiqué la direction de la cuisine et elle a tenté de m’imiter. Denise ayant compris, elle est venue me prendre en riant. Il se passe si peu de choses ici que plusieurs semaines après, Denise en parlait encore. J’ai continué ma nuit sur le gros ventre de ma matrone et j’ai revécu  la quiétude maternelle.

                Au début, avec tous ces enfants, je me suis un peu inquiété. Mais ici, tous sont très gentils. Avec le temps, je suis devenu la mascotte du centre.

Lavage des mains avant le repas

                Lorsque le soir j’ai un peu froid, je me traîne dans les cendres des marmites. Parfois, les enfants me tiennent compagnie. Lorsque mon pelage prend la suie des casseroles, les enfants me lavent. Ils attendent que le soleil soit là pour réchauffer de ses rayons, l’eau de mon bain. Alors, ils me savonnent avec ce qu’ils ont. Il y en a toujours un qui veut bien aller chercher sa savonnière pour me frotter avec son savon. La mousse me pique les yeux mais les petits d’hommes me les rincent. Lorsqu’ils me sortent de la bassine qui sert à laver les feuilles de la sauce, je me chauffe au soleil. C’est agréable. Ils m’essorent en me caressant du museau à la queue. Si j’arrive à leur échapper, je m’ébroue, alors  les rires et les cris fusent. Puis ils m’épongent avec un chiffon et m’emmaillotent.

 

Fillette jouant dans une cour commune.

                Entre Evelyne et Denise, les relations sont plus complexes. Elles m’aiment chacune à leur façon. Evelyne estime que je dois apporter aux enfants : un certain équilibre, donner et recevoir de l’affection, les sensibiliser au respect de l’animal. Sur ce dernier versant, je vais avoir beaucoup de travail car ici la vie des humains est souvent remise en cause alors celle des animaux ... Pour Denise, je dois devenir un bon gardien, prévenir et faire peur aux voleurs. Bien qu’elle ne dise rien, Evelyne émet des doutes à ce sujet. Moi, je me dis que les voleurs devront être de tous petits voleurs craintifs autrement, je vais être un très mauvais employé. Lorsqu’Evelyne est seule, elle me murmure que dans ce pays, la condition des animaux domestiques est celle des animaux de son enfance. Ici, il n’y a pas de médecin pour la classe « des quatre pattes » déjà que les humains bien souvent, ne peuvent pas se soigner. Les chats et les chiens mangent les restes mais les restes sont rares car les gens sont nombreux et l’alimentation un souci permanent. J’ai eu beaucoup de chance d’être adopté ici.

Poulailler chez un particulier (femme enseignante, homme ancien policier)

  

 

              Denise a peur qu’Evelyne lui reproche ma nourriture. Elle prend un peu du riz des enfants en cachette et me le donne. Evelyne craint que la nourriture végétarienne entraîne des carences chez un carnivore. Denise achète au magasin de tout petit paquet de lait en poudre et le dilue dans  l’eau. Evelyne semble septique car en France, on ne donne pas de lait aux chats et aux chiens. Cependant, elle songe que je ne suis qu’un chiot. Evelyne s’inquiète pour moi mais elle ne veut pas trop le montrer car en Afrique, il y a bien d’autres soucis. De ce fait, Denise croit que la Blanche ne m’aime pas et a réellement regret pour mon alimentation. L’autre jour, à l’aide de signes, elle a indiqué à la Française que j’étais petit et que je mangeais très peu.

                Malgré la bonne volonté des deux femmes, face à l’absence d’une langue commune, le dialogue est délicat. Finalement, Evelyne a eu l’idée d’acheter, elle aussi,  au magasin du centre un sachet de poudre blanche. En le donnant à ma propriétaire, elle m’a montré du doigt. Un large sourire est apparu sur la face ronde de Denise. Depuis je ne suis plus un sujet  de discorde. Parfois, Denise souligne que lorsqu’Evelyne reviendra, je serai devenu un gros chien.

                Evelyne nous a quittés il y a un an. Aujourd’hui, le Père Servais est venu nous rendre visite. Il m’a pris en photo. J’ai honte ! J’ai une grande maison pour moi tout seul. Tout le monde m’aime bien et les enfants viennent souvent me confier leurs petites misères. Là-bas, Evelyne ne va pas être contente car je suis attaché et c’est de ma faute.

 Patience qui attend un nouveau nom, Patience étant un nom humain.

                Lorsqu’Evelyne a reçu ma photo, elle a demandé au père Servais si la bâtisse derrière moi, était ma niche ou un abri de jardin car ma cabane lui semblait bien haute. Pour une fois, le père a pu lui répondre. Il lui a affirmé que c’était bien ma maison et que pour éviter les critiques européennes, dans cette maison, j’avais en rez-de-chaussée : une cuisine-salon et à l’étage, ma chambre. Il a aussi précisé que la nuit, le gardien que je suis, est libre de se déplacer où bon lui semble, mais le jour, je suis attaché car je cours après les pintades et les trois poules de notre minuscule basse-cour. Dans son pays, Evelyne doit se dire qu’un chat n’aurait pas posé ce type de problème.

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4 décembre 2020

Patience ( partie une)

                                                               Patience

 

                Que de bruit ! Que de bruit !

                Et cette odeur ! Et cette fumée ! Et ce soleil ! J’ai soif ! J’ai chaud !

                Ah, Enfin ! La cacophonie diminue d’intensité. Elle se transforme en un ronronnement discordant. Où est ma maman ?

                                        Je me sens transporté de-ci de-là avec des arrêts fréquents. On me montre à droite, à gauche. Qu’ai-je donc de si extraordinaire ? Des voix m’entourent. Un mouvement sur le côté, je tangue dans le creux d’une large main à la peau rêche et rosâtre.

 rue de Cotonou.

                De nouveau la fumée me pique la truffe. Un bruit infernal attaque mes tympans. Cette alternance de calme et d’agitation  se poursuit depuis le petit matin à un rythme endiablé.

                Hier soir, la nuit à peine tombée, un des  garçons du village est venu m’arracher à ma famille. Il m’a jeté dans un sac qu’il a passé par-dessus son épaule. Puis il a marché longtemps, longtemps. Balloté au fond de ma prison de toile le temps m’a semblé une éternité. Je ne distinguais rien. J’ignorais si le jour s’était levé. Je frissonnais de peur, de froid, de faim. Malgré  sa maigreur,   la chaleur du flanc de ma mère  me manquait. Parfois l’homme devait butter sur une pierre alors un juron lui échappait et il redressait mon habitacle. A d’autre moment, il devait tomber dans une ornière ou sauter un marigot. A la peur s’ajoutaient les nausées.  Je  gémissais. L’homme hurlait  « tais- toi ! ». Alors, sur cette terre violente je me résignais et m’enroulais dans ma peur et mes douleurs comme beaucoup d’hommes de ce pays souhaitant devenir invisible, priant pour que l’adversité m’oublie.

                Au petit matin, mon kidnappeur m’a soulevé par la peau du cou. Durant quelques secondes, la lumière crue et intense m’a aveuglé. Il n’y a plus de lait maternel mais de l’eau, s’il vous plait donnez-moi de l’eau, un peu d’eau. Je suis si petit, quelques gouttes d’eau… s’il vous plait ! Des jambes, de la poussière, du vacarme, des roues, un sifflet déchire l’air de son sifflement strident, des humains, une foule d’humains mais personne pour me donner un peu d’eau.

Ici ce doit être la ville, la grande ville. Ma mère a eu si peu de temps pour m’expliquer la vie, le monde. Ici pas de champs seulement de drôles de maisons collées les unes aux autres  qui  s’élèvent dans la puanteur de l’air. L’ocre, la terre de sienne de la piste sont inexistants. La palette des tons m’est étrangère. Ils sont indéfinissables, agressifs, crus. Ici la voie est moins poussiéreuse que dans la savane. Elle ne se perd pas dans le lointain. Elle est large à m’en donner le vertige. Comment traverser ce vaste ruban sans risque?

     

La peur me saisit au ventre.

    « Vendeurs à la sauvette »                                                   

  «  C’est vert.1,2,3 partez ! »                          

L’homme m’a posé un bref moment à terre. Les coussinets de mes pâtes ont senti la chaleur de ce drôle de sol. Une infime partie de mes doux coussinets si tendres est restée collée dans le bitume. Je me lèche mais la salive me manque. Un poteau se dresse à côté de l’homme. Il est surmonté de trois gros yeux un couleur banane, un couleur orange et le dernier me rappelle le feuillage de l’amarante. A proximité du poteau, l’homme arpente la chaussée. Le temps s’écoule et j’observe le poteau. Lorsque l’œil rouge fonctionne la circulation s’arrête alors l’homme zigzague à travers la nuée des motos. Il bouscule des marchands de brosses, de dentifrice, de paquets de mouchoirs, d’oranges, de cacahuètes, un cul de jatte, un enfant atteint de polio, une mendiante, un dément à la chevelure tressée, couvert d’immondices, déambule en faisant des gestes, nu comme un serpent. Il y a là tout un petit peuple luttant chaque jour pour sa survie alors moi le chiot ? Ce n’est pas que ces gens soient méchants mais ils luttent pour eux. Ici la sensibilité n’est pas de mise. Ma mère m’a dit qu’il existe d’autres contrées, là-bas, au-delà de la grande mare bleue… Comme ces hommes, je n’ai pas choisi. Je suis africain. Là était mon destin.

Pendant que je philosophe, malgré mon peu d’instruction, l’homme aborde les chauffeurs de voitures. Il évite les taxis jaunes et privilégie les grosses limousines ou les 4X4 conduits par des chauffeurs particuliers. Il frappe à la fenêtre du conducteur qui suivant les directives de son employeur, baisse ou non sa vitre. Alors mon voleur m’élève dans le creux de sa main et dit «  Un tout jeune chiot. De la bonne viande. Un bon gardien. » Coincé entre la panique et la chaleur, je transpire. Je tire la langue. J’alète. Toujours pas d’eau…

Personne ne voudra de moi. Je suis si petit, plus petit qu’une noix de coco mais plus grand que le fruit de cajou. Je n’ai rien d’un chien de garde. J’ai le cœur tendre. Me manger ? Je suis… Je suis gros comme un rabouti. Certains hommes les mangent. Je l’ai vu au village.

 

" Mon sauveur!"

Un homme seul discute avec mon vendeur. Finalement, par la fenêtre, il passe des billets. Je suis vendu comme une vulgaire banane. Je ne dois pas valoir bien cher. Il va me manger. C’est stupide il est si grand ! Comment le lui dire ? Et à quoi bon. Il devait en être ainsi. Il me prend dans sa paume Elle est chaude et douce. Il m’approche de son visage et sourit. Ces yeux pétillent de malice. Est-ce bon signe ? Finalement il me dépose sur un siège mou. L’engin repart. Pourvu que mon histoire ne s’arrête pas là. Où allons-nous ?

« La piste. »

 

L’habitacle est fermé. Il fait frais L’homme chante. Il prie aussi. J’aime sa voix, son accent. J’entends de nouvelles langues : latin, français, italien, anglais… Il va falloir m’adapter. Je m’endors. Une goutte d’eau tombe sur ma truffe. L’homme, le géant me tend le creux de sa main. Waouh ! De l’eau ! Enfin de l’eau. La voiture repart cahin-caha ! Finalement, je me rendors.

Le moteur s’arrête. J’ouvre un œil puis l’autre. Je m’étire. Mon compagnon de voyage me soulève. Ses doigts sont longs et fins, très différents de ceux des villageois.

Des voix pointues et joyeuses bondissent par-dessus le haut portail. A peine franchi ce dernier, des visages d’enfants m’entourent. Une multitude d’yeux m’observe. Des rires, des exclamations fusent. Un bibendum noir entouré d’un tablier arrive d’un pas traînant. La femme s’exclame, s’émerveille, ses paroles sont une farandole de plaisir. Une femme blanche, aux cheveux étranges, nous rejoint. Je suis le centre de mire.

Il y a tant d’enfants qu’il serait ridicule de me cuire même si en moi tout est bon, ou alors, il leur faudra me nourrir longtemps, longtemps et pas certain que je m’engraisse vu le type d’alimentation répandu dans les villages. Ils auraient dû me laisser avec ma mère et m’amener plus tard. Je vais être si gentil, si serviable, si peu encombrant qu’ils vont finir par m’aimer. La voix ferme de l’homme dit : « La vieille, je t’ai amené un chien ».

« Denise. »

   

La matrone me prend. Elle me sert contre sa forte poitrine. Elle a l’air ravi, toute prête     à m’aimer. C’est là l’opportunité de mon existence. Je la lèche de ma langue lisse rosée. Je jappe. Elle rit.

 

L’homme reparti, ma maîtresse explique à la «  Blanche » : « Servais, donner chien ». Des caresses, un silence. Puis elle lâche «  chien bien voleur ».

    La blanche me soulève, me câline et dit en soupirant « Chat tuer souris ».Je  devine qu’elle aurait préféré un de ces sales sournois toujours prêts à griffer.

 

Suite : article suivant. 

 

4 novembre 2020

Méandres du projet artemisia

 

                                               Les méandres de la mise en place du projet « artemisia ».

 

      Un bruit strident, en ce 15 février 2019, retentit et me fait sursauter. Ah ! Ces moyens de communication modernes qui vous interrompent sans aucun égard pour ce que vous faites. Je grommelle tout en décrochant et en souhaitant que pour une fois la communication soit audible.

-          « Ah ! Annie quelle surprise. Comment vas-tu ?

-          Bonjour Evelyne, je t’appelle car je mets en place les interventions du premier trimestre pour les premières SMS (Sciences Médico-Sociales). Quelqu’un me propose une intervention sur l’artemisia et j’ai pensé à toi.

-          A moi ?

-          Oui, tu vas bien régulièrement au Bénin ?

-          Tout à fait, mais c’est quoi l’artemisia ?

-          Une plante qui participerait largement à la lutte contre le paludisme.

-          Géniale ! C’est la première cause de mortalité dans le monde.   

-          Veux-tu que je demande au prof et à l’intervenante si tu peux te joindre à l’auditoire ?

-          Super idée. En Afrique, la malaria est la première cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans. Le lieu de la formation : Bascan ? Peux-tu me donner l’heure et la date ?

-          Je cale le tout et je te tiens au courant.

-          OK, no problème. Merci de me le dire au plus vite que je ne prenne pas d’autres engagements. D’ici là, je vais m’informer sur cette plante (article paru sur le blog le 14 avril 2019 ;  l’artemisia, la plante de l’espoir.)

           -                         

          amphithéâtre du lycée Bascan.

        Deux mois plus tard, j’assiste à l’intervention de madame Lucie Cornet-Vernet ; (article du 14 avril 2019).

Après quelques renseignements supplémentaires, convaincue du bien fondé de ce végétal, je contacte par mail et par WhatsApp le père Servais au Bénin pour lui demander son avis. Pas de retour ; peu surprenant vu l’aspect aléatoire des communications et la surcharge de travail de mon correspondant. Je tente de jeter quelques bouteilles à la mer. Pas de réponse. Je songe au bouche à oreille et aux signaux de fumé. Finalement, de fil en aiguille, je découvre Monsieur Yargo qui est le président de la maison de l’artemisia au Bénin. Je le contacte, il m’informe que les sœurs du monastère de Notre Dame de l’écoute, au Nord de l’Atakora, ont bénéficié d’une formation et cultivent  l’artemisia africa. En approfondissant mes recherches, j’apprends qu’une formation payante aura lieu à Natitingou. J’informe à nouveau, le Père Servais qui me répond qu’il connait Monsieur Yargo. Il ne me parle pas de la formation et de son positionnement par rapport à l’artemisia.

N’ayant plus de nouvelles, je me dis que je verrai tout cela sur place l’été 2019.

   

Le personnel du centre : cuisinière, maître d’internat régulateur et générateur de conflits, la couturière, la dame s’occupant des enfants.

           Juillet étant là, je rejoins, après quelques péripéties qui rompent la longueur du voyage, Pampam. Là, je découvre la nouvelle organisation du personnel qui me semble toujours déroutante et m’interroge sur le moment où je maîtriserai les codes qui régissent les salariés sur une terre qui a une période s’appelait République Populaire du Bénin 1977/1990 et adhéra au Marxisme Léninisme.  Comment ce gouvernement put- il gouverner au nom d’une classe ouvrière aussi peu scolarisée dans un pays sans usine, sans discipline, sans formation ?    L'ancien président  Zinsou (il habite aujourd’hui dans le Perche)  parle du  Bénin durant ces dix-sept années comme d’un « pays sans industrie mais gouverné au nom de la classe ouvrière » et le compare à « la Roumanie sans exportations, la Bohême sans usines, la Pologne sans charbon, et la Prusse sans discipline   ».

Hyppolite effectuant les courses.

Deux jours après mon arrivée, je vois vers 13h, Hyppolite, le maître d’internat, pousser sa moto. Il semble pour une fois, très pressé. Il me précise qu’il a oublié sa formation donc il s’affole pour au moins bénéficier de celle de l’après midi. Il lui faut se rendre à Nattitingou. Heureusement, la piste est praticable.

Je pense que c’est tout ce qui lui reste à faire. Cependant, comment a-t-il pu oublier une formation alors qu’elles sont si rares et jamais gratuites ? Quel est le sujet de cette formation, sa durée… ? Je revoie mes anciens élèves «  Français Langue Etrangère » et leurs difficultés de ponctualité et d’assiduité. Enfin de journée, j’entends une moto. L’étourdi arrive sur son destroyer poussiéreux. Les enfants couchés, il m’explique en se rengorgeant qu’il suit une formation sur l’artemisia, plante dont bien sûr, j’ignore l’existence. Il me fournit des détails parfois un peu déroutants. On lui a notamment révélé que les congelés sont néfastes pour la santé (Servais et moi-même avons du « pain sur la planche »). Il m’assure qu’ils sont toxiques, que les européens en mangent beaucoup trop, qu’ils font grossir, qu’ils sont trop salés, trop sucrés. Il ne me parle pas du risque de rupture de la chaîne du froid ! Je finis par me convaincre que la formation sur l’artemisia  porte également sur d’autres domaines. Le formateur s’est-il interrogé sur les capacités de compréhension de ses apprenants ?  Sa formation est-elle adaptée au mode de vie du pays, aux besoins de la population ? Qui dans ce pays consomme des plats tout préparés ? Ne serait-il pas plus judicieux de  centrer le  travail sur l’artemisia ?  Qu’a retenu ce nouveau formé de l’intérêt de cette plante ?

 

Le lendemain, convaincu de l’intérêt de l’artemisia, il m’explique qu’il serait bien de se lancer dans sa culture, qu’il faudrait en parler au Père (si je pouvais suggérer…)  mais un plant vaut huit euros. C‘est là un tarif prohibitif ! Je songe à refaire le point avec Servais lorsqu’il passera et pense me lancer dans l’expérience d’un pied.

Eux, aussi, s'interrogent sur notre capacité à réaliser  cette plantation.

Le surlendemain, Hyppolite construit une petite butte de terre et plante notre premier pied car la formation se terminait par l’attribution d’un pied par participant. Découverte !

En rentrant de classe, je vais voir la fameuse plante et reste des plus dubitative. La plante est au sommet d’une petite butte, des gallinacés tournent autour et ne vont pas tarder à satisfaire leur curiosité. Des crottes de moutons sont réparties en nombre conséquent au pied de la plante, il s’agirait de fumure !!!!

 Tentative de plantation d’artemisia

  

Le lendemain, un peu inquiète, je rends visite à ma protégée. Visiblement, elle ne s’adapte pas. Malgré toute l’eau qu’il y a, Hyppolite est persuadé qu’elle manque d’eau, la preuve les feuilles jaunissent et puis il faut l’abriter du soleil. Je tente d’expliquer que le compost est constitué de décomposition et qu’il faut du temps pour effectuer cette dernière. Me heurtant à un mur, j’appuie mes explications sur l’étymologie du terme compost. Hyppolite est très fier de son savoir. Il estime perdre son temps dans ce minuscule orphelinat et se demande s’il  ne devrait pas partir au Niger où les enseignants sont nettement mieux payés qu’au Bénin. Au Niger, il est bien entendu que la vie est moins chère... L’éternel attrait du pré du voisin où l’herbe est toujours plus verte ! Boucles d’Or et ses jonquilles me traversent l’esprit.

J’abandonne mes explications. A quoi bon ! Il sait. Il a eu la formation. Je ne suis qu’une femme blanche de surplus… et même s’il est bien obligé de reconnaître que les mêmes plants ont pris dans le jardin de l’évêché, il est évident que c’est une histoire de climat, de terrain…

Deux jours plus tard, la plante s’est volatilisée. Il ne reste qu’un minuscule moignon de tige.

 Femme Bariba et son enfant.

           Durant mon séjour, le père Servais me propose une  visite de deux jours au pays Bariba pour assister à la fin du camp des séminaristes de l’Atakora. J’accepte avec empressement. Je ne connais pas cette région, ce sera l’occasion peut-être de revoir des visages connus et aussi un moment de détente.

Le dernier soir se déroule une veillée : messe, chant, musique, danse, théâtre où tous les rôles sont tenus par les participants du camp. Dans la touffeur de la nuit, les villageois profitent de ce divertissement. C’est si rare. L’ambiance bruyante est bon enfant. La musique écrase de son rythme tous les bruits. Une place assise m’a été proposée de grand cœur. Je suis âgée et surtout l’invitée du père Servais. Hier, la laïque que je suis, s’est trouvée à partager le repas de l’évêque totalement livrée à elle-même.  Le troisième convive de la table d’honneur avait été happé, une fois encore, par ses multiples fonctions. Là, dans cette petite foule bigarrée, inutile de se creuser la tête pour maintenir un semblant de conversation. Le rôle que je dois endosser est beaucoup plus reposant. Je me fonds dans les rires « bon enfant », emportée par la bonne humeur des uns et des autres. Parfois un enfant, un adolescent, le directeur de l’école m’expliquent les subtilités du spectacle. C’est l’heure du pagne sur les épaules pour lutter contre les moustiques et l’air qui commence à fraîchir. « Il fait frigo ». Ma fatigue, bercée par le rythme des voix pures et profondes, m’entraîne vers une certaine léthargie. C’est alors que la grande silhouette du père Servais traverse une des nombreuses zones d’ombre. Il profite d’un moment d’accalmie pour me demander «  Evelyne, veux-tu parler de l’artemisia ? »

Visiblement, malgré le silence de mon interlocuteur durant l’hiver et l’échec de notre jardinier en herbe, le message est passé. Non seulement il y a eu la formation mais le volet publicitaire est lancé.

Trop heureuse, je réponds : « avec plaisir ».

Mon interlocuteur connaissant ma tendance à la timidité reprend : « Tu es sûre que tu veux intervenir

 A mes yeux, l’occasion est trop belle : Oui, oui mais combien de temps m’accordes-tu ?

Quinze à vingt minutes. Cela te va ?

Oui »

Servais en moulinant des bras, attire l’attention de l’animateur de la soirée et lui indique que je vais prendre la parole. Je me souffle : faire simple, simple. Chercher l’efficacité. Convaincre. Ne pas oublier d’utiliser la voix qui porte. Faire éteindre le micro qui grésille.

L’animateur annonce mon intervention. Je m’avance. Il me tend le micro et m’indique que j’ai tout au plus dix minutes. Il insiste sur les dix minutes. Il m’agace et j’ai fortement envie de lui rétorquer que contrairement à la majorité de ses congénères, je suis réputée pour aller droit au but, ne pas user de phrases ampoulées  et avec moi, on est prié de respecter les délais impartis.

Ah ! Convaincre en dix minutes. Top chrono, c’est parti.

Trois minutes plus tard, intervention de Servais dans une langue qui m’est inconnue mais que visiblement il ne maîtrise pas. Puis trente secondes après, je réalise que plus de la moitié de mon auditoire ne parle pas un soupçon de français. Le temps est trop court pour apprendre la langue du coin. L’homme de toutes les situations arrive. Ce jeune homme alerte et souriant va servir de traducteur.

OK. Il me reste en tout et pour tout cinq minutes. Je reprends : court, concis, vocabulaire basique… Ce merveilleux traducteur maîtrise-t-il réellement le français ou a-t-il les rudiments de français équivalent aux rudiments de Bariba de Servais ? Deux minutes plus tard, j’ai ma réponse. Mon traducteur patauge. Il me demande de reprendre. Comment me sortir de là ? Il reste en tout et pour tout, deux minutes. Une idée, une idée ? Je la tiens, les discours les meilleurs étant les plus courts :

J’effectue un large mouvement des bras vers l’avant pour accompagner un sonore et souriant «  Merci pour votre attention et bonne soirée à tous ».

 

  

   

Population Bariba.

Tonnerre d’applaudissements ! Droite comme un « i », je passe devant Servais en me jurant qu’il ne m’y reprendra pas de si tôt. C’est quoi cette organisation à l’africaine ? Ne pouvait-il pas anticiper ?

 

Chargement des camions à la fin du camp.  

Sur le chemin du retour, Servais me glisse « Si tu es d’accord nous travaillerons plus tard sur le projet de l’artemisia ». Franchement, je me demande pourquoi ???

Disons ce que nous avons à dire mais restons calme, calme… Une secousse me traverse. Je garde mon sérieux. Il pleut tant et plus que Servais absorbé par la conduite ne peut deviner mon envie de rire.

Un peu plus tard, je lui signale que moi aussi je dois être persuasive car trois jeunes séminaristes et un enseignant sont venus me trouver pour m’expliquer qu’ils souhaitaient se procurer la plante de l’espoir.

    Artemisia,  le début de notre culture.

            Aujourd’hui 25 août 2020, au petit matin en ouvrant WhatsApp, les yeux encore ensommeillés, j’ai découvert notre premier plant d’artemisia. Si nécessaire, d’autres suivront. Bientôt les villageois des alentours auront la possibilité d’utiliser cette herbe médicinale si contestée par nos laboratoires pharmaceutiques.

            On dit en Afrique qu’ « il  faut, pour tout, une patience à cuire les cailloux ». J’irai au-delà en ajoutant ne crions pas victoire trop tôt. Voyons ce que la cuisinière envisage de nous mijoter. J’aurai peut être le plaisir de le découvrir dans quelques mois.    

Evelyne, présidente de l’association ABCD.

Le premier pied d'artémisia nous a coûté 8 euros. 

Vous êtes convaincus de notre utilité alors n'hésiter pas à nous aider, il y a tant à faire!

Adhésion, don... 

 

 

 

 

 

2 octobre 2020

La bévue du linge

            La bévue du linge,

            Flasque comme un mollusque, vautrée, les membres en croix, je me repose dans le sauna de ma chambre. J’ai arrêté le ventilateur qui s’exténue à brasser de l’air chaud. Tournant et retournant sur ma couche moite de sueur, je prends à deux bras mes deux goûtes de courage  pour poser mes pieds sur le carrelage. Je décide de descendre au rez-de-chaussée. La chaleur doit y être moindre !

                       

L’escalier et la grande salle

            Je traverse le vaste palier aux murs galbés inspirés des maisons Tata Samba de l’Atakora. Je surplombe le majestueux escalier. L’un de ses bras s’élance à l’assaut du deuxième étage, l’autre se dirige vers le salon salle à manger. Des voix rampent le long des volutes de la rambarde en fer forgé bleu. Cette rampe serpentine, attire mon regard comme un aimant.

Ce garde fou, avec ses arrondis longeant les larges marches de l’escalier, m’impressionne depuis le premier jour. Mes rêveries se perdent régulièrement dans ses méandres. Nous sommes à milles lieux des escaliers de meunier de nos centres villes moyenâgeux. L’envolée des marches est ample,  impressionnante,  sécurisante, majestueuse. Je songe, une fois encore, aux demeures de Virginie du XIX siècle.  Les dimensions imposantes de cette « merveille »,  poussent la délicatesse jusqu’à respecter l’ampleur de son écrin... J’apprécie le travail de l’artisan ferronnier qui a su contrebalancer la faiblesse de ses moyens par l’habilité de son savoir. Parfois, je me surprends à m’imaginer dépolir ses courbes si rondes, si féminines. Poncer cette rambarde serait comme mettre à nu l’habileté de son créateur. Les outrages du temps commencent à déposer leurs empruntes. Des tâches  jurent  sur  le bleu ciel du bastingage. Des écailles sont disséminées laissant voir la peau du fer. Qu’il serait doux de suivre les  sinuosités avec un pinceau queue de renard aux poils soigneux et longs, de les effleurer, de les caresser, d’en explorer chaque contour.

             La voix du Père Pierre résonne dans le silence de l’immense maison au mobilier minimaliste. Avec qui le « vieux » de la maison peut-il discuter ? Qui a pu prendre le temps de venir rompre la monotonie solitaire de ses journées ? Semblable à une volée de moineaux, à peine le petit-déjeuner avalé, tous les pères se sont éparpillés vers leurs diverses activités. Le Père Servais doit être à l’évêché, là où il pensait en avoir pour une heure, il en aura pour trois. Le Père Abraham est à son bureau. Le Père Potin roule sur une piste. C. vaque à ses affaires. La cuisinière est en congé. Dominique et Salomé, les gardiens de la maison, sont aux champs. Le reste de l’équipage a quitté le navire pour quelques semaines de vacances. Les uns sont dans leur famille, les autres remplacent des prêtres à l’étranger ou dans d’autres paroisses. L’été, le clergé béninois fonctionne en sous-effectif. L’organisation se calque alors sur l’organisation du clergé français. Les messes se promènent d’une église à l’autre en fonction du « personnel ». Les fidèles s’adaptent et suivent comme ils peuvent.

 

Le Père Pierre

Une voix répond à Pierre. Le vieillard doit être heureux car on a omis de régler la dernière facture de l’abonnement de la télévision de sorte qu’elle dort là où Pierre somnole. Cette voix ne m’est pas inconnue. L’accent n’est pas d’origine  Ditamari.  Qui est le visiteur impromptu ?

Curieuse, tout à fait réveillée, je dévale l’escalier oubliant qu’il ne dépareillerait pas dans une scène de « Autant en emporte le vent ». Abandonnant Scarlett O’Hara, je délaisse crinoline, préciosité, dignité et reviens à mon naturel, ma vivacité…

 

L’évêque et le Père Servais bénissant une pompe à eau

            Ah ! Monsieur l’évêque. « Que nous vaut l’honneur ? »

Je traverse la grande salle au carrelage en damier. Il se lève. Nous nous serrons la main. Nous devisons comme si nous nous étions croisés la veille. Il dirige la conversation. C’est reposant. Les questions sont claires, simples, variées, nullement indiscrètes. Le Père Servais arrive. La conversation se poursuit. Le Monseigneur prend congé. Je suis fière. J’ai dit ce que je pensais et je n’ai pas commis d’impairs. Je m’apprête à remonter dans mon four. Pierre retourne à ses rêveries. A peine me suis-je éloignée que Servais s’approche et me dit discrètement de ses 1m80 : «  Tu sais Evelyne ».

Oh ! Là ! J’ai commis une bévue. Laquelle ? Une de plus à mon actif.

La terrasse

-         «  Dans ce pays le linge ne se met pas à sécher partout ».

-         Surprise, je lui réponds : «  Bien, oui ». 

Un court silence s’installe. Je le romps en poursuivant :

      -    «  Il est où le problème ? »

-         « Tu l’as mis à sécher à l’entrée et certaines pièces sont  taboues. »

-         «  Mais, non ! »

Je me dirige vers la grande porte de l’entrée, je l’ouvre et que vois-je ?

Naples, l’Italie… Ne rêvons pas, ce n’est pas le moment. La guirlande de mes chaussettes et sous-vêtements a accueilli « Monseigneur » l’évêque. Cela fait bien ! En effet !

-         «  Je suis désolée mais je n’ai pas étendu mon linge ici.

-         Où l’avais-tu mis ?

-         Sur le fil à côté de la maison de Salomé.

-         Qui l’a mis là ?

-         Je ne sais pas… Peut-être qu’elle a eu peur qu’il pleuve. »

Je suis confuse. J’éprouve le besoin de rire. Je demeure sérieuse et me dis «  Il a fallu que cela arrive le jour où l’évêque vient rendre visite à Pierre. C’est bien ma veine. Je ressemble au corbeau de la Fontaine, «  honteuse et confuse, je me jure, un peu tard, qu’on ne m’y prendra pas. »

J’ignore si mon ange gardien s’est transformé en fin limier pour connaître le fin mot de cette  histoire cocasse.

Il m’a demandé d’étendre à l’avenir mon linge sur la terrasse du dernier étage.

            Disciplinée, je lui ai obéi deux jours plus tard. Durant la nuit une pluie diluvienne s’est abattue. Le lendemain une partie de ma lingerie s’étale devant la porte d’entrée. Je l’ai récupérée furtivement. Malgré mes recherches dans les alentours, j’ai débuté mon séjour avec des chaussettes dépareillées.

                        

   2019

           Huit jours plus tard, installée à la maison d’accueil de Pampam, je me suis transformée en lavandière avec un seau d’eau sablonneuse tirée du puits. Au moment de pendre mes vêtements je demande aux enfants où les placer. Ils m’indiquent la seule ficelle du centre. Je me garde d’y disposer la guirlande de mes slips. Les femmes m’ont expliqué que seuls les slips sont tabous.

2018

Je pars avec ma petite bande pour l’école.

A peine revenue de cette dernière, Mathias m’explique qu’il faut ramasser mon linge. L’atmosphère est humide, il n’est pas sec. Père Benoît est de passage et vient, avec son jovial sourire, voir si tout va bien.  « Oui, merci père Benoît mais j’ai un petit souci avec mon linge. Mathias, qui visiblement veut m’aider mais a l’art  de tout compliquer, m’explique qu’il faut rentrer mon linge mais il est trop humide. »

Benoît me regarde le plus sérieusement du monde pour me répondre d’une voix assurée :

-      "   Evelyne, ici, certaines pièces de linge féminin ne doivent pas se voir.

-         Ah ! tu veux dire les slips ? Mais regarde, je n’ai étendu que des chaussettes, un pantalon, un tee-shirt et un soutien-gorge et les filles disent que je peux, où est le problème ?

-         Je ne sais pas. "

Nous continuons à papoter. Je retourne à mes occupations et laisse mon linge sur la corde.

 

Mathias admirant la future cuisine (août 2018).

Peut-être que Mathias a voulu, une fois encore, m’aider ? La pluie n’est pas loin mais je suis encore plus proche qu’elle. Pour une fois qu’il anticipait !

Evelyne

 

 

10 septembre 2020

Le passé d'Emeric

 Le passé d’Emeric

Emeric répétant la messe

Au quotidien, faire parler les enfants est difficile, en classe, c’est encore pire. Dans de telles conditions, je vous laisse imaginer l’écrit.

Peu importe le sujet, j’obtiens au plus deux phrases minimales bancales.

J’ai proposé des commentaires portant sur des plantes, des animaux, un moment de plaisir, ce qu’ils aiment….

Ce matin, j’ai eu une de mes idées «  lumineuses ! ».

J’ai débuté la journée de travail par : «  Aujourd’hui, nous allons nous présenter oralement. »

classe

 Après dix minutes d’explications, j’ai proposé un lapse de temps de cinq minutes de préparation qui s’est poursuivi par cinq minutes de présentation en binôme. Nous aurions pu entendre le vol d’un moustique tant le silence était dense. J’ai donc mis fin à cet exercice.

Dès lors, j’ai demandé à l’un des enfants de se présenter. Ce dernier s’est levé et bras croisés, a énoncé bien fort «  Je m’appelle Emeric N’Toumba ». En insistant, il a ajouté : «  Je passe en sixième ». Je n’ai guère eu plus de succès avec David, l’enfant le plus éveillé et le plus studieux de la section CM1-CM2.

Nullement surprise de ce fiasco, j’ai sorti mon passeport et nous avons travaillé sur l’identité.

-         Nom et prénom

-         Date et lieu de naissance. Certain ignore leur date de naissance ou parle du premier janvier. La majorité ignore où ils sont nés.

-         L’adresse, tout le monde vivant à la maison d’accueil cette réponse n’a pas été très variée.

-         La profession, écolier.

J’ai tenté de lister avec mon auditoire des questions plus personnelles comme par exemple :

«  Qu’est ce que j’aime ? »

«  Un jour, je voudrais… »

«  Si je pouvais, je ferais… »

« J’ai des frères, des sœurs… »

Emeric a demandé  à prendre la parole.

 groupe

Sachant que ces enfants sont des accidentés de la vie, je ne leur pose pas de questions sur leur passé et d’eux-mêmes, ils n’abordent pas le sujet. Parfois un mot, une expression laisse suggérer que la vie n’a pas été douce.

L’histoire d’Emeric m’a toujours semblé confuse. Le Père Servais me l’a présenté comme orphelin mais dans ce pays qu’est ce qu’un orphelin ? Un enfant rejeté  par sa famille ? Un enfant que la famille est incapable d’assumer au niveau financier ? Affectif ? Intellectuel ? Moral ?

Emeric parle parfois de son père au présent «  mon père veut que j’aille à l’école ».

Il lui arrive aussi de dire qu’aux vacances, il retourne au village chez son grand père puis il évoque un parrain et un vieux monsieur. Avec cet exercice de présentation, j’ai pu recréer l’histoire d’Emeric.

Il a vu le jour dans un minuscule village d’Atakora. Il ignore sa date de naissance mais affirme qu’il va sur ses douze ans.

 emeric et serpent

Emeric et son trophé de chasse

Sa mère a d’abord eu une fille. Plus tard, elle a eu Emeric. Le père est décédé sans préambule.

La mère et ses enfants sont partis tenter leur chance au Togo. La maman s’est remariée et a eu un troisième enfant.

La sœur est morte, puis le petit, la maman a suivi précédent de peu le beau père. « Ils sont tous morts ».

Il a été décidé au village, qu’Emeric n’ayant plus de foyer le mieux pour lui serait de retourner au Bénin où il serait accueilli chez un très vague cousin du beau père aux alentours de Natitingou.

Cet enfant a connu le tout début de la maison d’accueil avec sa tente de plastique réalisée à partir de sacs de récupération.

A la fin de l’année scolaire, Emeric, comme tous les enfants qui le pouvaient, est retourné dans son village d’accueil. L’objectif étant de maintenir autant que possible, les liens avec le semblant de famille où le lieu d’origine. Lorsque je suis arrivée pour dispenser les cours de vacances, Emeric m’attendait. Mais en réalité, il a fallu que le Père Servais bataille ferme avec «  le parrain » pour qu’il puisse rester cinq semaines au centre. Aujourd’hui, Emeric est utile aux champs. Il se trouve ainsi pris entre deux dilemmes. «  Aller à l’école / Aider le vieux monsieur qui l’a accueilli »

Avec ce parcours de vie, je comprends mieux pourquoi Emeric, qui est si serviable, a tendance à garder vers lui tout ce qu’il trouve.

Evelyne 

 

 

 

  

 

 

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27 août 2020

nouvelles Pampam et asso juillet et août 2020

Juillet 2020

Nouvelles de Pampam et de l’association A B C D

Bonjour,

Après ce silence, c’est avec plaisir que je vous adresse ces quelques nouvelles.

Le secrétariat de notre petite association est assuré par sa présidente. Durant cette période particulière, face à un certain nombre de contraintes, elle a un peu délaissé ses activités associatives qu’elle reprend avec plaisir depuis quelques jours.

Je vous pris de m’excuser de cette interruption mais face à des connections aléatoires, à la gestion de divers dossiers personnels, à des soucis de santé (sciatique, hernie discale, tendinites…. les joies de l’âge !), je vous ai un peu délaissé. Cependant la vie se poursuit avec ses aléas et ses bonnes nouvelles.

                        Cette année, les péripéties de mon activité béninoise se sont perdues dans les méandres des faux départs. Comme la grande partie d’entre vous, mon été se déroule dans un joli coin de France où je vis en partie aux rythmes des moissons, des nouvelles du monde et de celles d’un petit confetti de terre africaine : Pampam !  Voici les scoops de l’internat    :

Les quarante enfants ont découvert les lits.

 La cuisinière attend avec impatience l’installation du frigo congélateur solaire. L’hygiène de ce  matériel sera de la responsabilité du maître d’internat.

 Le projet de l’an passé portant sur l’artémésia (plante permettant de lutter contre le paludisme, article  blog  avril  2019, numéro 38) après l’échec d’août 2019, a été relancé avec succès. Nous travaillons avec artémésia africa. Il reste à  employer correctement cette plante antipaludéenne qui a une époque était bien connue des locaux. 

  

Le développement du potager après tâtonnement est positif. Actuellement, on y trouve divers plantes comme:

  

 

 

Les bananiers plantés en août 2019 mais aussi des haricots, des choux, des tomates, des oignons  ainsi que des légumes plus exotiques tels que : le crin-crin, la grande morel, des gombos, de l’artémésia… Pour éviter les invasions intempestives des volailles du voisinage, une barrière de bois a été érigée.

  Un champ de deux hectares vient d’être ensemencé avec du soja et l’igname, si doux à mon palet mais trop chers pour nos protégés, devraient se développer sur un hectare et demi.

La construction de la petite hôtellerie qui sert également de clôture pour l’orphelinat, avance grâce aux subventions des uns et des autres. Quatre chambres simples et propres attendent les plus aventureux d’entre vous pour des sommes raisonnables. Le tourisme finira bien par connaître des temps meilleurs !

 

 

 

Au lieu de sens cesse nous plaindre de nos infortunes pensons aux plus démunis et allons de l’avant ;

Ce projet  poursuit son chemin grâce à chacun d’entre nous. Continuons plutôt que d’écouter nos peurs.

 

La dernière construction :

  L’ingénieur a dû confondre le chien et notre logo, la girafe au long coup.

21 août 2020

Découvertes

                    Découvertes

 
 
 
 Toussaint

         Les cheveux emmêlés de rêves, les yeux pleins de buée nocturne, je me tiens sur le pas de la porte de mon studio africain.

 

 Le studio africain

 

Je tente d’émerger de ma chrysalide de rêves en regardant, dès potron-minet, la  termitière où les enfants s’ébattent. Dieu-Donné porte un seau, Deo traîne sa brosse à dent sur le sol granuleux, Modeste cherche Mathieu lequel  répare les dégâts de la nuit, Abraham a encore tordu les branches de ses lunettes,  David court après sa boîte à savon, Henri n’a qu’une « tap tap » (claquette),   Toussaint  est déjà à son poste de surveillant   « de  lavage de main… », C’est une promotion importante ! 

 

Le lavage des mains

Tout à coup, surgit de nulle part, Hyppolite se dresse devant moi. Réveillons-nous ! Réveillons-nous ! Verbe « réveiller » donc premier groupe. La voix grave d’Hyppolite m’arrête dans mes réminiscences grammaticales.

« Bonjour, Madame Evelyne.

Bonjour Hyppolite.

Avez-vous bien dormi ? »

Et nous voilà plongé dans les palabres de la politesse africaine.

Après les méandres du savoir vivre, le motif de cette visite matinale est énoncé : un nouvel enfant vient d’arriver et avec ce scoop, je termine de me réveiller sous une douche froide. L’enfant  « est  difficile. Il ne voulait pas venir ». 

En un éclair, je revoie mes adolescents de banlieue en rébellion contre la société, leur famille… agissant à leur guise, incapable de respecter le moindre cadre, se vengeant sur les plus faibles, jouant les caïds. J’ai tourné cette page et n’ai aucune intention de remonter le temps. DIFFICILE !

Calmons-nous, Hyppolite « avait été prévenu que j’avais un caractère difficile ». Quel est le sens profond de ce terme ?

Le cœur au bord des lèvres, souriante, je lâche un rapide et ferme : « Nous verrons bien». Deux caractères difficiles, deux silex qu’on frotte l’un contre l’autre, une étincelle, le feu  mais aussi la lumière, la création, l’évolution.

A huit heures, l’enfant difficile se fond dans le rang. Nous partons, traversons la piste, la cour et le champ de l’instituteur. Arrivés devant l’école, chacun se place devant sa classe. A ma surprise, le 1 mètre 45 de difficulté se positionne devant la classe de CP/CI (grande section de maternelle).

En classe, Toussaint ne bronche pas d’un cil. Il écoute. Il boit mes gestes, mange mes paroles.

Deux jours plus tard, alors que la veille je lui ai expliqué qu’il lui fallait respecter les consignes même en dehors de la classe, il est venu me voir en fin de journée en me disant :

 «  Madame, vous avez dit que ceux qui savent pas bien lire, ils peuvent venir quand vous travaillez pas ».

Durant les jours passés ensemble, Toussaint, en dehors  des horaires de  classe, a été un de mes élèves les plus assidus pour effectuer des heures supplémentaires sur ses moments de loisirs. Je le revois jouant au ballon tout en s’informant discrètement de mes activités. Etais-je sans rien faire ? Un autre enfant ne risquait- il pas de m’accaparer ?

 

 Toussaint apprenant à former ses lettres et non à les dessiner.

             Je crois que je garderai toujours au fond de moi, le visage émerveillé de « ce dur » lorsque je lui ai tenu la main pour écrire sur le tableau. Ce soir en écrivant ces lignes, je ne vois pas des mots mais des yeux étincelants de fierté après avoir pu déchiffrer une courte phrase lui indiquant qu’il était 22 heures et que je désirais aller dormir.

 

la derniére

« Madame, je peux venir? Tu fais rien !»

            Un jour, la confiance étant établie, Toussaint me dira «  Si mon père était vivant, je ne pourrais pas aller à l’école »…  « Il a jamais voulu ». .. « Il disait : ça sert à rien. Faut travailler » … «  Ma mère voulait mais pas mon père »… «  Mon père décidait ».

Oui ! Toussaint est «un  vrai dur, de dur » qui s’ignore.

Evelyne

Instragram :  abcd_benin

Merci de penser à participer à l’aide apportée à nos enfants. ( alimentation, éducation, logement…).

Nous vous rappelons les possibilités de défiscalisation de vos dons.

 

17 juillet 2020

Les éphémères

                                   Les éphémères,

            23 heures, le halo de ma lampe est le seul guide pour le voyageur égaré...

             J’éteins  l’unique «  loupiote » de ma chambre. De la grisaille, je passe à une chape d’obscurité. L’appel des chiens télégraphiques de mon village n’existe que dans mes souvenirs. Il n’y a aucun rugissement, aucun barrissement, aucun hululement et plus prosaïquement, aucun aboiement, aucun gloussement, aucun bêlement. Le silence noie les limbes de la nuit.Ce soir, même les grenouilles, « grosses comme des bœufs », se sont tues. Etrange !

Allongée sur mon lit, le seul de la maison d’accueil, je sens enfin un peu de fraîcheur. Dans cette encre,  la grandeur du silence s’entend. Sa blancheur sert de drap à la couverture nocturne.

Les calanques Marseille

      La France est loin. Je n’y pense plus depuis mon arrivée. Le quotidien me happe. Il est parfois si prenant que la notion de temps m’échappe. Plus d’informations, plus de journaux, plus de radio, plus de repères, si ce n’est l’horloge située sous le préau. Je la croise matin, midi et soir. Ma montre la remplace durant les multiples tâches de la journée. Levé, repas, enseignement, sieste, jeux… rythment mon existence. Attention à ne pas oublier le jour du retour à la civilisation. Surtout ne pas manquer l’avion !

      Malgré la fatigue, je ne trouve pas le sommeil. Je repasse en boucle la journée. J’en effectue le bilan. Un tel a-t-il bien compris le problème ? Comment faire pour que ces enfants réfléchissent, deviennent créatifs, acteurs de leur formation et arrêtent d’être uniquement dans le répétitif? Comment arriver à les faire s’exprimer oralement ? Comment passer à l’étape de l’écrit ? Comment mais comment avancer en si peu de temps ?

 Mathieu Evelyne...

    Comment bousculer des méthodes de travail sans pour autant perturber leur scolarisation l’an prochain ? Comment faire côtoyer deux méthodes d’enseignement si différentes ? Comment faire comprendre aux adultes qu’il ne s’agit pas de nier leur travail mais  que j’apporte d’autres concepts ? Qu’il serait bon de verser dans un chaudron, les deux méthodologies, de les mélanger, de tirer de chacune le meilleur pour réaliser un nouveau concept ? Ai-je bien donné à tous les enfants qui toussaient la feuille que m’a indiquée la cuisinière ? Où trouver un peu de Karité pour mettre sur l’exéma de P ? Je n’ai pas eu le temps de retravailler la lecture avec Mathieu, pourquoi cet enfant est-il si peu éveillé ?   Comment éviter que Geoffroi ne s’accoquine avec Hyppolite et que cette camaraderie ne  se développe à mes dépens

                                                                                                            Hyppolyte

 

Geoffroi.

Mathieu et l’apprentie enseignante

    Comment gérer ces adultes immatures, incapables de se repositionner, vivant dans le désir et la peur du pouvoir ? Jaloux de leur prérogative ? Et cette si brave cuisinière qui me fait des délires de persécution… Et la couturière qui ne voit pas pourquoi elle devrait s’occuper du linge des enfants ?

  Leçon de couture faute de  lingère

 

            Et le temps passe…

            Cette moiteur, cette touffeur…aucun tam- tam n’annonce la pluie, aucun sorcier ne l’appelle mais elle arrive. Elle sera violente, drue. Je sens son souffle. Ce soir, elle a une odeur, une vibration, un quelque chose d’inconnu. Je divague, je rêvasse. Des voix me parviennent. Le son monte. « Ah, non ! Ils ne me referont pas le cou de l’éclipse de l’an passé. ». Le  charivari de  cette nuit-là avait-il pour but de faire fuir le soleil ? De libérer la lune ? Était-ce l’expression de peurs ancestrales ? De la joie ? Une réminiscence du passé ? Je n’oublie pas que je suis dans le berceau du Vaudou. Je n’entends ni les casseroles, ni le fracas de pierre que l’on frappe l’une contre l’autre donc il s’agit d’un autre phénomène. Allons voir !

            Tout le monde est de sortie. Certains courent, d’autres sautent, beaucoup sont à croupetons. Bassines, seaux, chaudrons sont de sortie. Visiblement chacun est ravi. Enfants et personnels se sont réunis près des tourelles du portail et sont en pleine effervescence. Les deux lumières de ce coin brillent dans les ténèbres et éclairent cette scène fantastique et déroutante pour l’étrangère que je suis. Je traverse la cour pour rejoindre cette  danse  païenne offerte aux dieux de la nuit. Visiblement chacun est ravi, personne ne prend le temps de m’expliquer quoique ce soit, le temps semble précieux. De plus, pourquoi me fournirait-on des explications sur un phénomène, somme toute, si naturel.

 

 

 Termitières (Pampam). 

Un nuage d’insectes nous entoure. Aucun son, aucun grésillement ne  s’échappe  de  cette nuée  de plus en plus disloquée. Les hommes, occupés par le ramassage des insectes, se sont tus. Seul, parfois, un bruit de métal transperce cette étrange danse. Je participe au ramassage, admirant les ailes fines et diaphanes de ces libellules africaines. Dès que j’en ai quelques spécimens, je les jette dans l’eau des seaux.

De larges gouttes d’eau tombent. La collecte semble satisfaire chacun. Un signal, que je n’ai pas perçu, indique la fin de cette dernière. Les récipients portés à la cuisine, chacun regagne sa natte avant le déluge.

            Je m’endors et rêve de cette manne d’insectes que nous mangerons demain midi grillée.

 

 Termites (avant la mue et après la mue). 

   Ce mets, des repas festifs, craque sous la dent. Il laisse dans la bouche un petit goût de noisette que j’ai été certainement la seule à déceler. On y trouve aussi  des rappels de friture et des connotations de cacahouète grillée. Il est un peu comme notre beaujolais nouveau, chacun y trouve ce qu’il aime et désire, mais pas  de saveur de banane...

    Il semblerait que cet apport de protéine animal soit dû à des termites qui     effectueraient une métamorphose. N’étant pas entomologiste, je ne l’affirme pas mais étant curieuse, je me suis renseignée depuis.

        J’ai mangé des termites.

 Aux débuts des pluies, les termites sexués quittent à tir d’ailes, par centaines, leur termitière pour essaimer. Lorsqu’ils atterrissent, ils perdent leurs ailes.

La prochaine fois que je mangerai des noisettes grillées, je leur trouverai un petit relent de termite.

Photo du groupe de la maison d’accueil, réuni en l’honneur de mon  départ.

            Bien dommage que les moustiques n’aient pas de mue !

Evelyne

 

10 juin 2020

Passage en sixiéme

                                   Le passage en sixième d’Emeric,

                        Je m’apprête à rejoindre la maison d’accueil. Dans la voiture, le père Servais fredonne. Il écoute des ritournelles françaises légèrement désuètes. Parfois, la vivacité des musiques béninoises ethniques me sortent de ma somnolence. J’apprécie également les envolées des airs de gospel.

Pour une fois, nous sommes seuls dans l’habitacle de la voiture. Nous prenons nos aises et le monstre boueux et goudronneux se transforme en salon de causerie. Je déguste le moment présent, pas de panne, pas de pluie, pas de conflit à l’horizon… Servais chante. Parfois, je l’interromps pour demander des nouvelles des uns et des autres, m’informer sur une plante, une coutume… Sous peu, je découvrirai les évolutions du centre : les enfants, les constructions, le nouveau personnel.

 

Devisant des projets de Servais, des miens, de notre vision de l’éducation, m’informant de la gazette du coin, je finis par demander des nouvelles d'Emeric.

    

 

Son redoublement de CM2 lui a-t’il été profitable ? A-t’il eu son passage en sixième ? Un court silence s’installe. J’attends la suite. La langue du chauffeur semble marcher sur des œufs. Il poursuit : « Il entre en septembre au séminaire ». Je n’ai pas le temps de commenter la nouvelle, qu’il reprend déjà : « Tu sais, Evelyne, ça ne veut pas dire qu’il deviendra prêtre ».
Je souris, connaissant nos divergences religieuses et le rassure : « Ne t’inquiète pas, je sais. Autrefois en France, dans les milieux simples, c’était souvent ainsi. Je suis convaincue que le petit séminaire est l’une des meilleures écoles. Financièrement, tu pourras t’arranger. C’est une grande opportunité pour notre protégé. Il a besoin de trouver une place dans un groupe et de ne plus jouer le rôle de grand frère ».

Servais accompagne un splendide Ave Maria. Je me noie dans l’immensité du paysage. Je revis les moments partagés avec Emeric l’été dernier. Je le revois conscient de ses responsabilités, le regard critique, m’accompagnant dans mes découvertes. A cette époque, il se voyait « devenir prêtre comme le Père ». En un an, il a dû, comme tous les enfants de la terre, modifier la perception de son devenir. Quel métier envisage-t-il : Enseignant ? Gendarme ? Infirmier ?

Malgré son travail, il n’a pas pu combler son retard et son organisation est toujours brouillonne. La bonne volonté est présente mais la méthodologie absente. Il faut demeurer humble et réaliste. L’accompagner jusqu’à la fin de sa Troisième nous demande déjà un effort financier.

 

 

 Les petits attendant la répétition de la messe.

Quelques jours plus tard, seule avec Emeric, je lui explique une règle grammaticale. Avant de nous quitter, je lui demande s’il est heureux d’avoir eu son passage en sixième. Est-il fier ? Connaît-il l’école qu’il intégrera ? L’enfant semble perdu. Il  lance comme une bouteille à la mer « Je ne veux pas être curé ».

J’explique au rebelle qu’aller au séminaire n’implique pas de devenir prêtre. Il m’écoute et l’air peu convaincu reprend :

«  Vous dites ça, mais après ? »

Je tente d’être persuasive : « Mais non ! Emeric, beaucoup de petits séminaristes ne deviennent jamais curés ».

D’un ton inquiet, il me dit : «  Mais vous êtes sûre ? »

Catégorique, j’affirme « Certaine. »

«  Je préférerais une autre école ».

«  Le père Servais t’a-t-il un jour menti ? »

«  Non. On sait jamais. Je veux plus être curé. »

«  Je t’avais promis le château d’eau. Je t’avais dit que je reviendrai début juillet. Je te promets que personne ne t’obligera à devenir prêtre. Par contre là-bas, il y aura beaucoup plus de messes, de prières mais tu aimes bien aller à la messe. Tu es toujours enfant de chœur ? Surtout, il te faudra beaucoup travailler car c’est une très bonne école et tu as un petit niveau. »

 

Répétition de la messe

«  J’ai eu l’examen. »

«  Parce que le Père Servais corrigeait les épreuves et a été très gentil.»

Silence.

Finalement, j’aiguille l’échange sur son projet professionnel. Il veut devenir médecin pour soigner les gens. Il deviendra un très grand médecin qui opérera les grands malades. Je me sens projetée dans ma vie professionnelle d’européenne face à tous ces adolescents pour qui le graal est de devenir médecin alors que se former comme infirmier serait déjà un bien joli parcours.

A la fin des cours de vacances, Emeric, renseignements pris auprès du Père, était convaincu de l’intérêt d’accéder au petit séminaire.

           

Un baptême.

Fin octobre, mon téléphone a clignoté. WhatsApp m’apportait des relents d’Afrique. Emeric a intégré un collège catholique. Servais avait oublié un détail. Emeric, comme la majorité des enfants, n’est pas baptisé. Ce jour-là, l’incrédule que je suis, a confié aux ondes le message suivant : « Je le savais mais j’ai occulté, tout comme toi, ce détail. Servais, il ne te reste qu’une chose à faire : préparer au baptême David, s’il est d’accord. Il serait dommage que notre meilleur élève ne puisse l’an prochain bénéficier d’une si bonne formation. »

Le monde à l’envers !

Evelyne

22 mai 2020

Léa

Léa

                       

       Ce soir, la souris avec qui je cohabite m’a susurré à l’oreille que demain le Père Servais passerait de bonne heure pour m’emmener ailleurs. J’ai demandé au mignon petit rongeur si Geoffroy, le jeune Togolais qui m’aide à assumer les cours, serait du voyage. La bestiole m’a informé qu’elle ne le pensait pas. J’ai tenté de comprendre les modifications du programme mais l’animal n’a pas pu me renseigner. Il ignorait également l’heure du départ. Ceci était sans importance puisque les horaires dans ce pays ne sont fournis qu’à titre indicatif. Lorsque j’ai demandé un créneau horaire, les yeux du rongeur se sont arrondis jusqu’à devenir des yeux de chouette. Le mammifère ignorait également la durée de mon absence. C’était une bien mauvaise messagère. Il avait été question de Gnemasson, du Togo, du centre Saint Paul. Ce serait une surprise dans un pays aux coups de théâtre multiples.

 

     Comme toujours neuf heures, dix heures, onze heures… Ah ! Un bruit de moteur. Et non ! C’est la camionnette du frère Luck qui crachote sur la piste et  propulse de l’eau de droite et de gauche aux hasards des ornières. Un nouveau bruit de moteur. C’est mon chauffeur. Toujours pressé, à peine descendu du véhicule, il se précipite, me demande la clef de la chambre, revient avec son aube blanche qui l’attendait sagement pendue au bois du lit, me redonne la clef, me dit son éternel «  On y va », sort de ma bouche mon éternel « Je suis prête » et songe une fois encore « pas trop tôt ».

 

     Je me saisis de mon sac à dos qui ressemble de plus en plus à un sac à main, me précipite vers la voiture, m’installe, m’attache et « Hue ! Cocotte ».

Mon guide m’informe que nous passerons par Natitingou. Il doit prendre un passager ici, un autre ailleurs… et il faudra prendre la vieille, la vieille ?

Nous arrivons à la maison familiale du Père.

 

La cour de la maison familiale.

      Le toit de la troisième pièce est enfin réparé. Une charmante jeune femme togolaise nous accueille entourée d’une ribambelle de gamins. Durant ses vacances, Clémence a décidé d’aider le Père qui lui a demandé de garder six à sept enfants. Il a mis à la disposition de cette colonie la petite maison de sa famille qu’il a un peu rénovée. Je revois mon ami Déo qui, du haut de ses trois ans, décrète qu’il veut retourner à la maison d’accueil malgré la grande gentillesse et la disponibilité de Clémence. Elie, deux ans et demi, a refusé de quitter l’internat pour cette villégiature citadine. Clotilde, la petite sœur de Florida, a tellement contesté cette colonie improvisée qu’elle est retournée chez sa mère à qui elle manquait.

 

Elie refusant d’aller dormir ailleurs.

Et oui ! Père Servais, je t’avais prévenu. Tu voulais faire plaisir aux enfants mais tu as raisonné comme un adulte. Il aurait fallu te mettre à la place des enfants et ne pas maintenir que « ces enfants  ne voient jamais rien, ne sont pas des animaux, ont le droit à des vacances ». Pourtant je t’avais répondu « mais ce ne sont pas des paquets qu’on transporte de ci de là, il faut les préparer. Ils sont petits. Tu sais avant six, sept ans… ils n’ont jamais quitté le village » et de me répondre « Oui, mais Evelyne ce n’est pas obligatoire ». Cher lecteur, je vous laisse imaginer la suite.  Elie et Clotilde ont eu gain de cause et Déo … que cachait sa demande ?

Déo participant à la lessive.

 

Retrouver une mère qui est absente même lorsqu’elle est présente ? Croiser le chemin de sa mère qui cherche à se débarrasser de ce fardeau ? Revoir les enfants de la maison ? Retrouver une certaine sécurité ?

            La vieille Léa arrive avec ses béquilles. Servais toujours jovial, lui fait un bon accueil « Alors la vieille, ça va ? » Le grand sourire édenté de Léa confirme que tout va pour le mieux. Deux ballots suivent accompagnés d’un semblant de matelas. Je laisse ma place à l’infirme et me glisse à l’arrière entre les paquets et les occupants.

            Etant douée pour les devinettes, je finis par comprendre que Léa s’est cassé la jambe. Elle est ridée, âgée, maigre. Elle ne parle que sa langue, reste à savoir laquelle. Elle devait être paysanne. Dans ce pays où les rires servent d’emplâtre sur la misère, la jambe a dû être soignée avec des moyens précaires. Ici l’accès aux soins est aussi répandu que l’argent, donc inexistant. Léa, totalement seule, est venue passer quelque temps à Natitingou suite à son accident. Aujourd’hui, elle retourne chez elle.

 

            Après quelques kilomètres, nous arrivons au pied de la colline où se situe sa maison. Une vague sente s’élance vers le haut. Très vite, elle disparait dans la végétation. Servais habitué à la vie rude de son pays, ne s’inquiète ni de Léa ni de moi. Le dernier passager traîne les affaires de la « vieille ». Je me retourne parfois pour apercevoir Léa crapahutant péniblement vers son refuge. Arrivée à mi-parcours de la colline, je découvre une cabane de torchis lépreux, entourée de murs croulants délimitant un espace comportant deux minuscules bâtisses. L’une a servi de soue aux cochons, l’autre préservait deux ou trois poules des prédateurs.

La soue

Léa vivait seule. Là elle sera encore plus isolée car les animaux ont disparu. Qui les aurait nourris ?

Léa arrive enfin. Elle escalade les trois marches de terre, utilise une grosse clef pour ouvrir une serrure des plus sommaires, censée protéger l’accès à ses lambeaux de trésors.

Je domine le paysage, perçois les rumeurs d’une fête tout en bas. Servais m’arrête et me signale que Léa n’appréciera pas mon intrusion dans sa misère. Je me dégage. Frappe. Entre. L’obscurité couvre le dénuement de l’unique pièce. J’aperçois vaguement un seau, deux marmites et rien, rien, rien. Seul le vide encombre les dix mètres carrés...

Léa se traîne vers l’extérieur, s’assoie péniblement sur la marche du haut. Je sors et saute les trois marches sur le côté. Je remonte les deux premières, la regarde, regarde ce qui fût sa ferme lilliputienne.

Je suis triste. Servais et notre aide semblent imperturbables. Pour eux, cette situation est banale, pour moi c’est difficile. Je regarde Léa qui me sourit. Non ! Servais, Léa a été heureuse de me faire découvrir son « chez elle ».

« Bon, on y va ». Oui Servais nous y allons. Nous ne pouvons rien de plus pour Léa. Je n’arrive même pas à repérer le lieu où elle prendra de l’eau demain. Je l’embrasse. Elle me sourit de nouveau.

            Dans la voiture, je me reproche de ne pas avoir eu l’idée de m’organiser pour qu’elle ait au moins un peu d’eau.

Le ciel s’est assombri. Le déluge menace. Elle récupérera peut être les eaux diluviennes directement. Je n’ai repéré ni gouttière, ni citerne.

Seule avec mon guide, je lui parle de mes états d’âme. Il me répond : « Que veux-tu que j’y fasse ? » Je n’ose même plus respirer. Ce dénuement est le décor dans lequel il évolue. Il ajoute « Quelqu’un finira par venir. »

            Je suis bien loin de l’Afrique des parcs animaliers et des catalogues touristiques. J’espère au fond de moi que la solidarité fonctionnera pour la vieille, qui a cinq ans de moins que moi.

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