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Association Afrique Bénin Cancale Dol
16 novembre 2019

Histoire de gastéropodes

                                                             

Les   gastéropodes

 

            Ce matin de printemps, la nature a coiffé son diadème éphémère de perles translucides. Une heure plus tard, les diamants ont été subtilisés par le soleil.

      Chaussée de bottes, je me suis rendue au fond de mon jardin en suivant les esquisses de traces baveuses laissées par des hôtes non conviés. Les traces s’arrêtaient au pied du vieux mur croulant sous le poids du lierre. Inutile de chercher sous le feuillage vernissé les indélicats. Après leur déambulation matinale entre les laitues et les fraisiers, les prudents colimaçons, repus, se sont réfugiés entre les pierres friables. Des plus circonspects, lovés dans leur caravane tout en grisaille ou couleurs d’automne, les petits gris digèrent leur larcin.

 . 

   A quelques centaines de kilomètres, leurs cousins bourguignons traînent leur embonpoint entre les pieds de vigne.

  

            Avez-vous pris le temps, sous le toit d’un parapluie, d’observer l’un de ces mollusques ? Quatre petites cornes des plus fringantes, deux servant d’antennes sur le haut de la tête et deux plus petites, assimilables à des moustaches. Un cou indissociable du corps prêt à s’allonger pour se renseigner : « Quel temps fait-il ? Y a-t-il quelque chose à râper ? Ah ! Un danger. Vite, je me rétracte dans ma maison. Ma pauvre cousine, la limace, serait bien incapable d’en faire autant. Et ce n’est pas en prenant ses jambes à son cou qu’elle se sauvera. Dame Nature s’est révélée ingrate à son égard. » Et le gaillard de rire dans sa retraite !

            Bien loin de nos petits farceurs, au-delà des océans, une branche de la famille s’est expatriée ! A moins que ce ne soit l’inverse...

            Au Bénin, la saison des pluies est particulièrement prisée par ces grands timides. Imaginez un pays de Cocagne où la pluie, chaque jour, se déverse de mai à septembre. Je ne parle pas d’une de ces pluies fines, à peine rafraîchissante, mais de pluies torrentielles…

J’ai rencontré ces expatriés à Abohicon. En suivant les ornières du bitume qui relient Cotonou à Natitingou, vous vous arrêterez inévitablement à la gare routière de cette ville. A cette halte, vous découvrirez un marché animé, coloré, bruyant, dans la touffeur des milieux d'aprés-midi africains.

 

 Là une vendeuse d’avocats, ici un enfant voulant vous fourguer une pochette de mouchoirs ; dans la même mêlée, une vendeuse d’eau, en arrière-plan, les vendeurs de viande de brousse, un peu plus loin, une pyramide d’oranges sur un plateau… et des brochettes d’escargots enveloppées du brouillard des braséros.

            Nous choyons nos petits gris. Nous les cuisons. Nous les sortons de leur caravane. Nous déposons dans ces dernières un soupçon de beurre aillé et persillé. Nous couchons sur ce lit odorant, le petit animal puis nous le recouvrons avec notre précieux mélange de beurre, d’ail et de persil. Les escargots béninois ignorent une telle douceur.

Les escargots d’Abohicon, eux, sont nus, s’offrant à votre regard sur leur braséro ou sur la tête d’une marchande ! Cet animal individualiste est enfilé en brochette, enfumé, attendant le chaland. Le client en aura pour son argent. Il pourra mastiquer les semelles de caoutchouc jusqu’au terminus.

 

   

Les escargots étant sources de protéines, l’été passé, toujours « pleine de bonnes idées », j’avais proposé aux enfants d’aller à « la chasse aux escargots ». Ma proposition de promenade pédagogique avait remporté un vif succès. Après une étude documentée sur la bestiole, suite au déluge journalier, je décidais de notre départ. Ni fusil, ni botte, ni cape, ni gibecière : un seau pour tous !

  

Les vaches avez-vous vu de petits animaux avec quatre cornes ?

Nous voilà donc partis dans un joyeux désordre. L’un soulève une pierre, l’autre une feuille, le troisième discute. A la ferme pédagogique, la partie de cache-cache est des plus fructueuses. Nous rentrons. Naïve, je ne perçois pas l’ombre des nuages qui s’amoncellent au-dessus de ma tête.

 

Lavons ! Nettoyons !

            Seuls trois enfants me disent ne pas manger d’escargots. Après discussions, j’explique l’importance de goûter avant de dire « je n’aime pas ». Je précise que j’ai goûté aux termites et que la seconde fois, j’ai mangé ma portion. En arrivant au centre, les adultes, toujours bien intentionnés mais cadenassés dans leur monde, m’expliquent que beaucoup d’enfants ne mangent pas d’escargots. En m’armant de patience, je signifie que les enfants veulent bien goûter et donc nous mangerons du riz comme prévu et tous les enfants découvriront le goût de notre cueillette. La cuisinière part, visiblement l’orage ne va pas tarder. Je rappelle les trois adultes et précise que les découvertes gustatives sont une ouverture sur le monde extérieur. Les adultes agiront comme bon leur semble. Sachez au passage qu’un adulte parle la langue de Molière, un autre la baragouine et le troisième devine deux ou trois mots. Pratique !

            Après deux heures de « parlote », il faut décider du jour où nous ferons notre agape. N’ayant nullement l’intention de devenir gardienne d’escargots, je propose le lendemain midi. Renégociation. Restons d’un calme olympien. La cuisinière ne mange pas d’escargots donc dans sa logique, elle ne les prépare pas. Par contre, la couturière apprécie ce met. Négocions avec cette dernière.

Elle veut les mettre immédiatement dans l’eau froide. Je crois me souvenir que ma mère en effet … mais par mesure de sécurité alimentaire, il serait bien que l’animal dégorge, surtout que nous ne le laisserons pas jeûner. Oui mais quelle idée stupide de donner du sel à manger à ces animaux ! Enfin le sel arrive. Chacun m’observe. J’ai la sensation d’être un Martien. Donnons l’impression d’être sûre de ce que je fais ou « les carottes vont être cuites avant les escargots ». Je jette du sel et je touille et je touille. Je trouve une bassine. En la retournant, elle fera office de couvercle. Trois heures plus tard, je reviens avec ma bande de joyeux drilles.

Les adultes, l’air de rien, rappliquent. Je verse de l’eau sur les escargots et je les lave. Confrontés à la bave, les adultes font la moue... Ils ne songent pas à l’aspect gluant de la sauce gombo. Moi, si. Je reverse de l’eau et je touille. Je remets de l’eau et je  brasse et je vide...

  .

Face à mon assurance, mes spectateurs prennent confiance. La couturière s’informe : peut-elle se lancer dans la cuisson ?

Personne n’a encore réalisé que ce plat ne sera pas prêt pour ce soir, pourquoi anticiper ? Personnellement, j’ai tenté d’expliquer mais confrontée aux expressions du visage, j’ai opté pour le silence. Pour eux, chacun sa notion du temps, pour moi, prenons les problèmes un par un. Confrontée au temps qui s’écoule, il m’a bien fallu expliquer à Denise qu’il faudrait peut-être envisager de cuire l’akassa. J’ai donc, une fois de plus, demandé au plus dégourdi du groupe de devenir l’interprète. « S’il vous plait les enfants un seul traducteur » (évitons la cacophonie dans Landerneau, source de confusions et donc de conflit). Je précise qu’il n’est pas utile de cuire longuement ces animaux.

            Une heure plus tard, la cuisinière occasionnelle m’amène un escargot :

   «  Est-il cuit ? »

   «  Oui ! C’est parfait. Et toi qu’en penses-tu ? »

   « Comment je fais ? »

Faisons simple, simple. Pas de beurre, pas de farine, peu d’ail, pas de vin… mais de la tomate en conserve. Et puis valorisons les autres.

 « Fais comme tu crois mais surtout pas de piment. ». Pas de réaction mais visiblement réflexion.

   «  As-tu de la tomate ? ».

La Start de la conserve africaine : la tomate !

            Le lendemain midi, les trois adultes sont là. Evitons les vagues mais restons sur nos principes éducatifs et pour tout arranger, je ne suis pas diplomate. A quand la guerre de Cent ans ? Ils m’ont bien prévenue. Les enfants ne mangent pas d’escargots. Manque de chance, seulement deux gamins sur vingt-cinq ne demandent qu’un seul escargot qu’ils mangeront sans problème, un des deux en redemandera. Un petit futé m’explique qu’il ne peut consommer ce plat car l’escargot est son totem. Ne braquons personne !

Contrairement à ce qui a été perçu, je n’ai pas considéré le vide de la marmite comme une victoire, mais comme c’était à craindre, un adulte a vécu le résultat comme une défaite. Je me doutais que la suite risquait d’être mouvementée…. Mais ceci est une autre histoire. L’histoire dramatique d’un pauvre hérisson. Peut-être que je vous conterai cette pénible histoire un jour.

Morales de l’histoire :

Les adultes projettent trop souvent leurs craintes, leurs croyances sur les enfants de sorte qu’ils brident ces derniers dans leurs découvertes.

Il est impossible d’avancer sans les adultes. Tenir compte de la susceptibilité de ces derniers, tout en avançant, est une gageure.

La phrase souvent entendue cet été : « Chez vous, on vous oblige pas… vous mangez pas deux fois la même chose… » révèle le danger des idées toutes faites. Chez moi, enfant, nous étions priés de manger ce qu’on nous donnait. Il n’en demeure pas moins que les adultes cuisinaient avec ce qu’ils avaient, et en fonction de ce qu’ils aimaient.

           

 «  Oui ! Nous ne mangeons pas les coquilles »

 Evelyne   

 

 

 

 

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